mardi 9 décembre 2014

Musée de la mine : Couriot dans son jus

À Saint-Étienne, les responsables du Parc-musée de la mine Couriot ne s'imaginent absolument pas sur le Strip de Las Vegas. Ici, malgré les nouveaux aménagements, pas de toc ripoliné donnant la fausse apparence du vrai. On réaménage en respectant la mémoire et la poussière des anciens pour expliquer la fabuleuse histoire industrielle et minière du bassin.

Loin du Strip de Las Vegas… et pourtant c'est chouette une mine la nuit ! [Photo Pierre Grasset]
Détaillant ce qui a changé à Couriot, Philippe Peyre, directeur du "Parc-musée de la mine" (nom officiel) explique que son équipe n'a pas voulu faire ici un parcours de golf tout propret mais sans âme : "Il fallait des éléments de compréhension, d'explication et d'émotion". D'où les trois grands nouveaux espaces d'exposition. L'un consacré à la figure du mineur, le suivant consacré à l'aventure industrielle de Couriot et un troisième qui fait le lien entre l'activité minière et le territoire stéphanois. En cette veille de Sainte-Barbe (fête des mineurs), on inaugurait donc ce "Nouveau Couriot".

Un abandon profitable

Mathilde Lourmet [Photo EMD]
Mais avant de revenir sur les nouveaux éléments du site… et aussi sur les anciens, Mathilde Lourmet, chef de projet du Parc-musée donne quelques clés pour mieux comprendre ce qui fait l'originalité du lieu. En effet, le site est resté abandonné relativement longtemps. C'est paradoxalement une chance puisque de nombreux espaces sont ainsi restés "dans leur jus". Il a dès lors été possible de redécouvrir ces lieux avec plus de recul et une meilleure approche. De nouvelles études ont ainsi commencé au début du siècle. En effet, si le musée de la mine proprement dit a été ouvert en 1991, avec notamment une reconstitution souterraine de l'exploitation du fond, le reste du site avait été quelque peu laissé à l'abandon par la ville, accueillant même une décharge sauvage, voire un campement de gens du voyage en bas du "plâtre" (le carreau en langage stéphanois). "Le musée se trouvait isolé et on était face à un espace qui n'était pas du tout approprié" constate M. Lourmet.
Ces études entamées dans les années 2000 avaient donc pour objectif de rattacher le musée à la ville tout en conservant ce qui fait son charme et sa force, c'est-à-dire qu'il ne fallait pas non plus que la ville l'envahisse. Un marché de définition était alors lancé et c'est finalement le cabinet Gautier+Conquet qui devait être désigné en 2010 avec un projet assez simple qui visait à associer ce lieu d'équipement culturel avec tout ce qui se situait alentour. Ainsi, le parc et le musée fonctionnent comme un seul ensemble, ce qui n'était pas véritablement perçu au départ. Enfin, M. Lourmet précise que le maître d'ouvrage avait insisté dès le départ sur une intervention délicate et réversible qui ne modifie pas profondément l'existant. Il fallait ainsi pouvoir développer des usages contemporains tout en conservant l'émotion qui se dégage du site.

Une ville marquée

Philippe Peyre [Photo EMD]
Ph. Peyre fait remarquer de son côté que la ville est très fortement marquée par cette aventure minière qui a duré un peu plus de six siècles. Mis en service fin 1919 par la société des Mines de la Loire, le puits Couriot a longtemps été le puits le plus puissant du bassin. Ces installations occupaient plusieurs dizaines d’hectares à Couriot et à ses abords. À la fin des années 1930, le puits remontait 900 000 tonnes de charbon par an, soit le quart de la production du bassin, et employait plus de 1 000 mineurs. En sommeil à partir de 1965 avec la concentration de l'extraction sur le puits Pigeot à La Ricamarie, au sud-ouest, Couriot fermait définitivement en 1973, dix ans avant la fermeture totale du bassin.
Depuis, le chevalement et ses deux "crassiers" (terrils), les premiers en France à être classés au titre des Monuments historiques, dominent la ville, juste au-delà du boulevard urbain et de la ligne de chemin de fer vers Le Puy, entourés d’un vaste espace dorénavant dégagé où abondent les traces de la mine où la végétation a, pour partie, repris ses droits.
Le directeur du parc-musée n'hésite pas à affirmer que le territoire stéphanois a été l'un des bastions du grand développement industriel français. Tout cela s'est déroulé dans un contexte dominé d'un côté par la proximité de Lyon, espace marchand européen par excellence et de l'autre par l'affirmation de l'État-Nation en France aux 18e et 19e siècles, tout cela dans un pays faiblement doté en charbon et dont les principaux bassins étaient dangereusement situés près des frontières du Nord et de l'Est. Cette situation va favoriser le gisement stéphanois en outre situé sur la ligne de partage des eaux, entre Atlantique et Méditerranée. La région stéphanoise va ainsi devenir une grande base arrière de développement industriel et militaire quasiment jusqu'aux années cinquante.
Le site de Couriot présente quant à lui une proximité remarquable avec la ville, se trouvant à sept minutes à pied de la place de l'Hôtel de Ville. C'est aussi un jeune musée, né en 1991 autour d'une galerie minière reconstituée… Jeune comparé au musée d'Art et d'Industrie de St-Etienne qui remonte au 19e siècle ! Le musée Couriot est né quant à lui bien sûr de la fermeture de la mine, de son effacement,… mais aussi de l'initiative du maire communiste de l'époque (1977-1983), Joseph Sanguedolce. Pour la ville, ce moment était important car le territoire subissait alors d'importants chocs en raison de la transformation industrielle du pays dans les années quatre-vingt avec la fermeture de la mine certes mais aussi la fin de Manufrance, de Creusot-Loire,… "Mais c'est aussi un territoire qui a su rebondir et qui, au travers du design, est en train d'affirmer son renouvellement tout en ayant envie aussi d'affirmer sa singularité comme il l'avait fait au travers de l'aventure industrielle et minière" insiste Ph. Peyre.

Une équipe en immersion

Le musée de la mine proprement dit a été ouvert en 1991,
avec notamment une reconstitution de l'exploitation du fond
[Photo Éric Massy-Delhotel]
Désignée en 2010 à l’issue d’une procédure de marché de définition, la maîtrise d’œuvre est composée d’une équipe pluridisciplinaire dont le mandataire est l’agence d’architecture et d’urbanisme Gautier+Conquet (Dominique Gautier et Pascal Hendier), associés au paysagiste Michel Corajoud (Prix André Le Nôtre, grand prix national du paysage et de l’urbanisme), aux architectes du patrimoine Archipat (Laurent Volay) et aux muséographes de Scene. Récompensé par le trophée EDF Rhône-Alpes du Patrimoine Rhônalpin cette année, la mise en lumière du chevalement est l’œuvre de Cobalt. La signalétique et le graphisme ont été conçus par les designers stéphanois de l’Atelier Cahen&Gregori (+ P-N Bernard).
Pour Dominique Gautier, architecte, cela constitue une très belle aventure partagée par toute une équipe : "Nous nous sommes ainsi immergés dans un monde inconnu pour nous". Pour ce dernier, cette approche des mineurs et du monde souterrain s'est accompagnée de beaucoup d'émotion et aussi de beaucoup de passion. Il a commencé en 2009 un véritable travail de coproduction avec les services de la ville et les équipes du musée. Ils ont visité d'autres sites pour mieux comprendre ce qu'il convenait (ou pas) de faire. Les architectes du patrimoine sont en outre intervenus puisque, au même moment, l'ensemble du site était classé patrimoine historique. Bref, un véritable travail d'équipe au sens noble.
Dominique Gautier [Photo EMD]
Pour cet architecte, c'est un projet urbain qui a pris corps et pas seulement un musée. L'existant était déjà important et il a fait en sorte de recadrer le site, d'en avoir une vision globale à une échelle beaucoup plus large afin de produire une sorte de plan-guide à l'usage de ceux qui allaient y travailler : "Nous sommes sur un site qui couvre pratiquement 50 hectares, qui est relié de multiples manières aux quartiers et à la ville. Nous nous sommes donc interrogés sur la place des bâtiments existants dans l'avenir de ce site ainsi que sur l'interaction avec les infrastructures qui structurent l'environnement".
Chez Gautier+Conquet, on a eu aussi la volonté de voir émerger, autour des bâtiments existants, un parc urbain contemporain dessiné par Michel Corajoud. Pour les bâtiments, ces derniers se sont un instant posé la question de savoir s'il fallait ajouter des bâtiments contemporains. L'hypothèse n'a pas été retenue et c'est l'utilisation de l'existant qui a été privilégiée. Ainsi, les modules d'exposition se sont glissés dans les bâtiments, sortes de boîtes en bois autonomes qui permettent la conservation optimale des œuvres présentées. De même, la parti a été pris d'héberger l'ensemble des bureaux du personnel administratif dans ce qui était autrefois les bureaux des employés et ingénieurs de Couriot. Ont également été ouverts au public des bâtiments qui ne l'étaient pas mais en les laissant pratiquement dans leur jus, tels qu'ils ont été abandonnés dans les années soixante-dix.
Laurent Volay, architecte (Archipat), confirme cette volonté : "Le principe qui a été retenu est celui de garder l'aspect de témoignage des bâtiments tout en y incluant la muséographie contemporaine". L'objectif n'était pas de "restaurer" au sens habituel des monuments historiques mais de s'assurer d'une bonne restitution de la mémoire de l'activité industrielle que les bâtiments ont en eux. "Il y a donc une volonté d'avoir une expression architecturale la plus sobre possible pour laisser toute la place au patrimoine, qui est l'élément majeur, tout en assurant la sécurité du public" conclut L. Volay.

Glisser dans l'existant

Les modules d'exposition se sont glissés dans les bâtiments
existants,sortes de boîtes en bois autonomes
[Photo Éric Massy-Delhotel]
Alors, en dehors du parc, en quoi consistent les nouveaux aménagements ? Toutes les installations nécessaires à l’accueil du public et au développement des espaces d’exposition ont été glissées discrètement dans les espaces existants. Les deux nouveaux espaces majeurs d’exposition permanente, La grande aventure de Couriot et Six siècles d’aventure houillère, ont été aménagés dans l’ancienne grande chaufferie restée depuis longtemps sans machinerie. Des galeries en bois massif sombre et sobres y ont été simplement posées au sol, par respect des lieux, et abritent collections et dispositifs scénographiques dans les conditions climatiques adéquats.
La lumière vient des vitrines et des lutrins. Leurs dimensions et celle du grand audiovisuel, qui s’étire sur 20 mètres de long, se veulent le reflet de la puissance de la mine. La construction du parcours a été en permanence attentive à la qualité des lieux et aux points de vue qu’offre Couriot sur la ville. L’aménagement de la plate-forme haute qui conduit aux deux nouvelles salles patrimoniales profite de points de vue sur le chevalement et les collines environnantes. Le revêtement sombre des sols extérieurs accompagnent l’architecture des bâtiments mais aussi le vert de la végétation.
Placée dans la première lampisterie, la partie de l’exposition permanente consacrée à La figure du Mineur joue pour sa part d’une autre manière avec l’héritage. Ouverte sur la grande cour, elle donne à voir simultanément le Monument aux morts et aux victimes du devoir qui en occupe le centre, et l’allégorie du monde industriel qui se lève que constitue la reproduction du grand tableau de Jean-Paul Laurens, Les mineurs.

Encore des projets

Et pour demain ? Assurer le dialogue entre la vie contemporaine et l’emblème que constitue Couriot passe nécessairement par l’amélioration de son accès depuis la ville. Précédé d’un parvis prolongeant un espace urbain à requalifier, une passerelle desservant le parc et l’entrée du musée est à l’étude. Le parc attend également de nouveaux aménagements afin de le rendre plus accessible à pieds ou à bicyclette.
Demeure enfin la question de l’accès aux deux terrils. Les deux "mamelles" de Saint-Étienne sont aujourd’hui interdites d’accès en raison de la combustion spontanée des charbons résiduels qui persiste de nos jours. Une découverte guidée et sécurisée est cependant envisagée pour compléter l’ensemble singulier que constitue déjà le Parc-musée de la mine.
Enfin, la nouvelle mise en lumière quotidienne du puits qui a été récompensée par le trophée EDF Patrimoine Rhônalpin cet automne permettra dans l’avenir, grâce à un dispositif programmable, de passer des commandes artistiques.
Pour Couriot, l'aventure continue !

Éric Massy-Delhotel